Rencontre avec
MARIO VIBOUX
Vingt-quatre heures dans la vie de Mario Viboux
Silence, on pêche !
À l'heure des sports extrêmes, des raves et des jeux électroniques, la canne à pêche fait figure d'objet ancestral auprès des ados citadins élevés sur le bitume. Depuis quelques années, Mario Viboux, directeur de la maison des jeunes Point de mire de Verdun, essaie de les convaincre que le bonheur est dans la rivière. Son pari : « Faire de la pêche une activité trippante. » Et il réussit. Les adeptes se multipient.
Un curieux personnage que ce Mario Viboux. Après avoir étudié en communication à l'UQAM et travaillé comme photographe à la pige à différents endroits, dont le journal Voir où ses photos ont déjà fait la une, il s'est retrouvé à la maison des jeunes, rue Wellington. L'une des plus anciennes du réseau.
« J'y suis depuis 12 ans. C'est presque un record dans ce milieu », précise-t-il en secouant sa longue queue de cheval noir de jais. À 40 ans, il n'envisage pas de changer de travail, du moins pas à court terme. « Contrairement à l'abbé Pierre ou d'autres du genre, je ne suis pas ici en mission, mais pour le plaisir. Quand je n'aurai plus de fun avec les jeunes, je vais m'en aller. »
Il sourit quand on lui dit qu'il a un petit air amérindien avec son teint et ses yeux foncés. Rien ne l'amuse plus que de laisser courir la rumeur auprès des jeunes qui l'interrogent sur ses origines. « Un peu de mystère et d'exotisme suscite l'intérêt », ajoute le coureur des bois moderne.
La vérité est qu'il est né à Sorel dans un «milieu familial ouaté ».
Il se souvient avoir eu un choc la première fois qu'il a mis les pieds à la maison des jeunes. « Il y avait des trous dans les murs et un gang de durs à cuire qui crachaient dans la face des animateurs et vendaient de la drogue. Ils voulaient prendre le contrôle de la place. Je me suis vraiment demandé ce que je faisais là. »
Tout un contraste avec aujourd'hui! Les trous dans les murs ont disparu et les jeunes indérisables aussi. « S'il y a autant de pauvreté, il y a moins de violence, souligne-t-il. Le climat est bon. »
Au deuxième étage de la maison, on s'étonne de voir des cannes à mouche, des cuissardes et tout l'attirail du parfait pêcheur. Sans oublier les nombreuses photographies de gars et de filles exhibant fièrement leurs prises. Si ce n'était de la musique techno qui résonne, on pourrait se croire dans un chalet de pêche. Les jeunes fabriquent même leurs propres mouches.
Lorsqu'il est devenu directeur après avoir été animateur pendant quelques années, Mario Viboux s'est creusé la tête pour trouver un projet original. «Je cherchais une façon de rassembler les adolescents, de les sortir de la ville et de soulever leur enthousiasme. »
Il insiste sur le fait qu'il est un «directeur de plancher et non un directeur cravaté ». Il préfère l'action aux longues réunions de concertation; la canne à mouche à la paperasse. « Pour moi, l'administration se résume à mettre une pelletée de charbon dans la locomotive afin que ça roule. Le plus important c'est d'animer les jeunes, de les grounder sur quelque chose de positif. La maison n'est pas un simple centre de loisirs ou un drop in. C'est un lieu de vie, d'échanges et de créativité. Avec ses règles et ses obligations. »
Plusieurs ont sourcillé quand il a lancé l'idée d'organiser des cours de pêche et des excursions. À la mouche par surcroît. « La pêche, c'est ma passion, ce que je connais le mieux. Qui m'aime me suit! Rien n'est plus agréable que de communiquer sa passion. Je ne pouvais pas faire tripper les jeunes sans tripper moi-même. Leur apprendre à moucher représentait un défi supplémentaire », poursuit-il.
Rares sont les pères qui montrent aujourd'hui à pêcher à leurs enfants. « Dans bien des cas, ils sont absents ou trop occupés. Moi j'ai eu la chance d'avoir un grand-père qui m'a initié et une blonde, Sylvie petite bisoune adorée, qui partage mon plaisir. »
En pleine crise d'Oka, Mario Viboux a organisé une excursion dans la réserve amérindienne Manouane, en Mauricie, pour favoriser un rapprochement entre les cultures et initier les jeunes à la nature. « C'est là que le déclic s'est produit. En voyant ces ados s'amuser à pêcher avec les guides amérindiens et discuter avec animation autour du feu de camp le soir, j'ai su que mon projet était viable. La pêche, c'est plus que prendre du poisson. C'est une façon d'éloigner les jeunes de la délinquance, de la drogue et de la violence. C'est incroyable de voir comment on arrive à travailler l'estime de soi et faire du renforcement positif avec une simple canne à mouche. »
La maison Point de mire offre des ateliers de fabrication de mouches et des cours de pêche dans le gymnase d'une école secondaire à Verdun. « Notre but est d'étendre le programme Pêche Montréal afin de rejoindre le plus de jeunes possible dans différents secteurs de l'île. Former des moucheurs qui en formeront d'autres », explique le directeur. Les ateliers débutent ce moi-ci.
La fondation de la faune du Québec, le Fonds jeunesse et le commanditaire Snowbee (qui fournit l'équipement) participent au programme. En plus de la publication d'un premier guide de pêche pour les jeunes et la création d'un site Internet, Mario Viboux et son équipe ont organisé plusieurs excursions au Québec, aux Etats-Unis et, dernièrement dans le nord de l'Italie avec les « Amici Della Pesca con la Mosca » (Les Amis de la pêche à la mouche). Un groupe d'adolescents qui pratiquent le même sport. Ils rêvent maintenant d'aller en Angleterre.
Pour ramasser des fonds, les jeunes ont eu l'idée de vendre « L'Élixir du pêcheur » dans les salons de plein air. Un petit flacon d'eau, symbolisant le rêve, qui a connu beaucoup de succès.
Dans son guide de pêche, Mario Viboux explique avec humour qu'il y a trois stades dans l'apprentissage d'un moucheur : le premier est de prendre beaucoup de poisson; le deuxième est d'attraper le plus gros spécimen et le troisième, on s'en fout complètement. C'est le plaisir de pêcher.
« J'aime avancer l'idée que les gens vivent comme ils pêchent. Il n'y a pas de plus grand luxe que de prendre le temps. La pêche nous impose son rythme », dit-il, un brin philosophe.
Qu'est-ce qui motive Mario Viboux à continuer de travailler avec les jeunes, alors qu'il pourrait avoir un job beaucoup plus payant? «Je ne suis pas un gars de fric ni un carriériste, mentionne-t-il. C'est un éternel sujet de conflit avec mon frère, que j'aime bien par ailleurs. Associé chez Samson et Bélair, il ne comprend pas que je sois encore à Point de mire. Moi je réponds que je suis bien. Heureusement, on ne s'engeule jamais à la... pêche. Notre plaisir commun.»
S'il le pouvait, il aimerait finir ses jours dans le bois à écrire et à pêcher. En attendant, il travaille à la rédaction d'un livre sur la pêche et la réalisation d'un projet antiracisme, «je clique sur l'Afrique». Avec son principal collaborateur sénégalais, Abdoul Fam, de la maison des jeunes, il veut diminuer les préjugés chez les adolescents qui sont encore tenaces.
«Ce que j'aime dans mon travail, c'est qu'il n'y a pas de routine, conclut-il. Et puis, je ne veux pas devenir un «vieux sèche qui bave», l'expression favorite de mes jeunes. Ils ont même baptisé une de leurs mouches de cet affreux nom. Espérons que je ne connaîtrai jamais un tel sort!»
LE CARNET DE MARIO VIBOUX : |
La rivière Yamaska qui ne gèle pas est un endroit exceptionnel pour pêcher la truite arc-en-ciel et mouchetée en... plein hiver. «Quand tu mouches avec ta tuques en laine et qu'il tombe une petite neige, c'est tout simplement féérique!» dit-il.
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«Le meilleur site Internet de pêche pour les jeunes.» Pour le visiter : www.snowbee.ça/pagesdesjeunes. «On y apprend, entre autres, les techniques de la pêche à la mouche, comment organiser une excursion et découvrir de bons spots.» |
Un livre : La Rivière du sixième jour de Norman Maclean. |